relations amoureuses virtuelles, un monde sensoriel imaginaire?

La rencontre virtuelle a fait ses preuves. De nos jours on rencontre des couples qui vantent le bonheur d’avoir pu se rencontrer sur ces lieux insolites que sont les sites de rencontres, les forums, les réseaux sociaux, les jeux en ligne et j’en passe. Cependant, nous entendons encore crier au secours, pour la survie des rencontres spontanées au coin d’un bistrot, dans les soirées dansantes, derrière l’étagère d’une bibliothèque ou à une soirée d’anniversaire. Les rencontres virtuelles sont-elles aussi austères qu’elles y paraissent ? Il semble pourtant y avoir une vraie aptitude à goûter les plaisirs des sens dans l’utilisation de l’approche virtuelle. Est-ce que le contexte virtuel modifie tant la beauté sensorielle de la rencontre ?

On peut tenter de répondre aux problématiques en se focalisant dans un premier temps sur les aspects sensoriels mis en jeu lors d’une rencontre virtuelle. Les aspects psychocorporels seront détailler plus amplement dans mon prochain article. Ces manifestations sont au cœur même de ce que nous ressentons en interaction avec le monde et donc en interaction avec l’autre.

J’établie cette analyse sur mes propres expériences des rencontres virtuelles (notamment via des forum et réseaux sociaux) mises en approche avec mes expériences des rencontres réelles. Elle est pareillement soutenue par des témoignages entendus ou recrutés sur la toile. Nous considérerons ici une situation de rencontre virtuelle amoureuse entamée sur une base de bienveillance, c’est-à-dire avec deux protagonistes qui sont de bonne volonté et donnent des indications véridiques sur leur identité avec une réelle motivation pour le rapport à l’autre et ne présentant aucune pathologie psychique notable.

QU’EST-CE QU’UNE RENCONTRE VIRTUELLE ?

Le terme « virtuel » prend plusieurs sens. Selon le Larousse, « virtuel » s’utilise pour désigner ce qui est seulement en puissance, c’est-à-dire ce qui est susceptible d’exister mais qui reste sans effet dans le présent. Il s’emploie également pour signifier l’absence d’existence. En d’autres termes, il s’agit de ce qui existe en tant que représentation d’une chose ou d’une expérience naturelle ou concrète. Il serait donc artificiel.

À partir des années 1980, cet adjectif s’utilise pour désigner ce qui se passe dans un ordinateur ou sur internet, c’est-à-dire dans un « monde numérique » par opposition au « monde physique ».  La relation virtuelle se caractérise ainsi par l’absence de rencontre physique. Pourtant les relations virtuelles provoquent un effet bien réel sur le corps. En effet, en se recentrant sur notre vécu sensoriel, nous pouvons remarquer qu’un échange, et donc une rencontre avec l’autre – tant virtuelle qu’elle soit – a provoqué des modifications, des adaptations, des perceptions dans le corps, soutenues par la psyché. Elle met en jeu le langage verbal et infra verbal. Mais aussi la perception sensorielle de l’environnement et le contexte spatio-temporel dans lequel se fait la rencontre.

LA SENSORIALITÉ LORS D’UNE RENCONTRE VIRTUELLE

La rencontre virtuelle est une rencontre entre deux personnes par l’intermédiaire d’un médiateur : l’écran (d’un ordinateur, d’un téléphone portable ou une tablette). Ainsi, le corps physique est relayé par un écran qui permet l’accès à l’autre de façon indirecte.

Une rencontre en décalage

Dans ce cadre particulier, les espaces d’échange ne sont pas les mêmes pour les deux protagonistes. Il y a une divergence d’espace. La rencontre peut s’effectuer assis devant un ordinateur, à un bureau, sur un lit, dans un café, sur un portable, une tablette ou dans des lieux plus bruts comme le métro, dans la rue ou dans un parc ; en étant dans un espace différent du partenaire qui sera lui-même dans son propre espace. Nous parlons également d’une divergence dans le temps. Les deux personnes peuvent être totalement disponibles à la conversation comme elles peuvent être en multitâche, écouter de la musique, cuisiner, regarder la télévision, travailler sur un projet ou même suivre une autre conversation durant cet échange.

Ces décalages sont soulignés par ces questions fréquemment posées : « Tu fais quoi ? », « Où es-tu ? » « Avec qui ? » qui permettent de localiser la personne et la mettre en mouvement. C’est significatif du bouleversement du rapport à l’autre dans l’espace et le temps. Ces questions permettent de combler le manque d’information et de replacer l’interlocuteur dans un contexte. En effet, la rencontre virtuelle oscille continuellement entre le réel et l’imaginaire.

Lors d’une rencontre réelle, les sens captent d’emblée un certain nombre d’informations qui sont alors interprétées sur diverses modalités. En effet, dès sa naissance, l’être humain est bombardé de stimulations sensorielles vides de sens. Ces sensations se mettent petit à petit en relation pour permettre au bébé d’y mettre un sens. Par la suite, il élaborera une représentation cohérente du monde qui l’entoure. Ces signaux sensoriels combinés se placent en mémoire afin d’aider les futures représentations. Lorsque les perceptions sensorielles laissent à désirer, comme c’est le cas dans le cadre d’une rencontre virtuelle, l’imaginaire vient compléter au mieux à l’aide de représentations liées aux vécus, à la culture, aux préjugés de la personne.

Un puzzle de sensation

L’imaginaire est la capacité à se représenter les absents par l’intermédiaire d’associations d’éléments de représentations. Les éléments sensoriels, rappels sensoriels, nourrissent l’image qu’on se fait de l’absent en attendant la rencontre. Cela peut-être une lettre parfumée, une photo, un message vocal, mais rien ne palie à l’absence du toucher. Ainsi, une relation virtuelle est éminemment instable. Elle a tendance à évoluer vers « une relation imaginaire – dans laquelle seuls les fantasmes comptent – ou vers une relation réelle » selon le psychologue Serge Tissier.

Comme illustration tout au long de l’article, prenons une situation concrète et fictive. Ainsi, Sophie, inscrite sur un forum de cuisine nommé Zeste de Citron entame une discussion avec Stranger36 un soir, après s’être connectée à son compte, confortablement installée sur le sofa de son salon. Le choix du pseudo Stranger36 peut déjà alimenter l’imaginaire de Sophie : serait-il mystérieux ? Elle l’imagine ayant une allure rigide, une gestuelle précise et un regard mystérieux.

Virtuellement, les sensations se retrouvent mises à l’épreuve mais ne sont en aucun cas absentes. Elles sont simplement déjouées car les informations sensorielles ne sont pas directement perçues comme cela se ferait en situation réelle. Dans ce contexte, les informations sensorielles se récoltent petit à petit – pratiquement sur demande. Ces informations risquent alors d’être modifiées par l’interlocuteur (mensonge sur l’apparence, sur l’état d’esprit trahi en temps normal par les variations tonico-posturales, sur la façon de parler qui a le temps d’être intellectualisée).

Des pièces à rassembler dans la rencontre virtuelle

Le toucher et l’odorat restent non récompensés, et le regard est différé. Cependant, des vécus personnels peuvent agrémenter ces sens. « Je suis souvent enroulée dans mon plaid quand je pense à Stranger ». La douceur du plaid peut s’associer à Stanger36. « Je sirote toujours mon thé lorsque Stranger engage la conversation ». Sophie lie le goût et l’odeur du thé aux messages de Stranger36.

Les informations auditives peuvent se faire par appel vocal dans un temps secondaire. Elles donnent des renseignements sur la prosodie, le souffle, l’intonation et le timbre de voix. Encore une fois, ces informations nourrissent l’imaginaire des interlocuteurs et permettent de constituer une image animée de l’autre.

Les informations visuelles sont pauvres. Un échange de photo peut alimenter ce sens mais l’allure perçue reste figée et indique uniquement la physionomie de la personne, éventuellement ses goûts personnels en matière de vêtements, d’accessoires, ou même de loisirs en fonction du paysage en fond d’image. Un appel en face time enrichit davantage la rencontre sensorielle. Cela grâce aux informations données par les mimiques faciales, la gestuelle, la posture. Elle donne également des informations auditives comme lors d’un appel vocal. 

VERS UNE RENCONTRE RÉELLE, RENCONTRER À NOUVEAU

La prise de rendez-vous dans le but d’une rencontre réelle est une démarche pour la validation de la rencontre virtuelle. A ce moment, se fait le lien entre la relation réelle et la relation imaginaire. La rencontre devient concrète.

Les sens aux aguets

Dans le cadre d’une rencontre réelle, l’environnement n’est certes pas forcément plus riche mais différent. Nous tenons compte de l’ambiance générale c’est-à-dire l’espace, l’aménagement de l’espace, la proxémie, la densité de personne sur le lieu du rendez-vous, et donc le bruit. Le bruit peut provenir de la foule, du contexte, de la présence ou non de musique (d’ambiance, de fond ou concert). Le contexte est bien celui d’un rendez-vous galant et non pas une rencontre réelle fortuite, elle reste donc propre à la rencontre virtuelle énoncée auparavant.

Cette première rencontre réelle permet le truchement de tous les sens et donc de tous les éléments perceptifs. Elle est donc marquée par l’entrée en scène d’ultimes sens relationnels jusqu’ici mis à l’écart : le toucher et l’odorat. Ils sont présents d’entrée de jeu avec la bise : il a ce parfum que Sophie reconnaitra dans la rue bientôt, cette température individuelle.

Une imagination concrétisée

La rencontre réelle de l’autre se fait d’une part par la vision. Lorsque nous regardons quelqu’un, nous notons des informations sur son allure plus ou moins figée, sa démarche fluide ou saccadée. Les représentations mentales sont toujours présentes : « il a l’air d’un robot », « d’une ballerine », « d’une flaque », « il fait penser à untel ».

La rencontre se fait également par le toucher qui permet d’avoir également des informations sur le tonus. Un contact trop rigide, dans la pression ou au contraire un contact trop mou entraine le même processus d’association aux affects et aux représentations. Il faut dire que le toucher est l’un des premières sens qui se met en place dans la période intra-utérine. Dans la vie d’un être humain, l’enveloppe tactile recouverte de récepteur prend très rapidement une fonction d’analyse, d’ajustement, de spatialisation et de constitution du schéma corporel. Elle est donc très investie tout au long de la vie, notamment dans la découverte d’autrui.

Tout ce que nous ressentons dans la rencontre modifie notre espace sensoriel interne, notre espace externe et influe ainsi nos réponses à ces perceptions : se rapprocher, prendre ses distances corporellement, s’ouvrir ou mettre de la réserve psychologiquement.

Un cadre plus vivant

L’environnement, l’ambiance générale du lieu de rendez-vous ont une importance capitale. Un rendez-vous galant ne se passe pas à n’importe quel endroit. Même le moins prise de tête des rendez-vous, pour peu qu’il soit organisé, va se dérouler dans un endroit peu bruyant, pour capter la voix de l’autre. Il y aura peut-être le style de musique dont il ou elle parle car c’est ce qui lui fera écho. Ce sera un endroit avec une odeur agréable, de nourriture généralement (culturellement, on aime partager un repas). Un endroit avec une vue agréable, que ce soit simplement une jolie vue sur les passants dans un café charmant, un cinéma, au bord de fleuve. Peut-être dans un appartement bien rangé où la personnalité est au premier plan. Le cadre est très important pour permettre une rencontre agréable.

Une rencontre virtuelle pour faire durer le plaisir imaginaire

Nous avons constaté que, lors d’une rencontre virtuelle, les échanges d’un point de vue sensorielles sont soutenus par l’imaginaire en prévision de la rencontre réelle qui confirmera ou infirmera l’image que l’on s’était faite du/de la prétendant(e). C’est peut-être ce qui en fait le succès des rencontres sur le web : pouvoir prendre le temps de ressentir petit à petit chaque nouvelle sensation induite et laisser s’exprimer librement les fantasmes en attendant la confrontation au réel. Nous notons que, dans une rencontre réelle, l’imaginaire reste présent, il est simplement soutenu de façon plus vive par du sensoriel. Nous verrons dans mon prochain article d’autres manifestations psychocorporelles qui soutiennent également cette rencontre. 

Pour aller plus loin (sources) :

ALBARET, J.M., SCIALOM, P., GIROMINI, F. (dir.). Manuel d’enseignement de psychomotricité : concepts fondamentaux (vol.1). Paris, France : DE Boeck-Solal.

COMBES Valérie.  » Infraverbal pour communiquer avec l’enfant autiste », Paris, 2013 :https://cliniquedelenfant.wordpress.com/2013/01/18/soigner-lenfant-autiste-reconcilierles-approches/ 

DE MELO MARTINS KUYUMJIAN Marcia. « L’autoreprésentation dans la trajectoire des Garimpeiros », 1998.

FLAVIGNY Christian. « Le virtuel : site pour l’inconscient ? », Champ psychosomatique, vol. no 22, no. 2, 2001, pp. 111-131.

GRAVEL Caroline. « Relation virtuelle, amour virtuel : quelle place pour l’amour véritable ?, Québec, 2018

LARDELLIER Pascal, “À corps joie, à cœur perdu…”, Revue des sciences sociales, 58 | 2017, 46-53.

LEVY Pierre, « Sur les chemins du virtuel ». 2007. https://www.volubilis.org

TISSERON Serge, « Virtuel, mon amour : penser, aimer, souffrir, l’ère des nouvelles technologies », Albin Michel, 2008.

VIAL Stéphane. « Critique du virtuel : en finir avec le dualisme numérique ». Psychologie Clinique, EDP sciences, 2014, Le virtuel pour quoi faire ? Regards croisés, pp.38-51VITALI-ROSATI Marcello, La virtualité d’Internet. 2009. Sens public. http://sens-public.org/articles/669/