L’idée de ce petit article autour du sujet de la dépression et de la déprime m’a été inspirée à la lecture « des bienfaits de la dépression : éloge de la psychothérapie » de Pierre Fédida (2001). Je l’ai rédigé avec l’objectif de pouvoir partager avec vous certains propos concernant la dépression et nous ouvrir à des questionnements qui me paraissent intéressants. Comment différencier la déprime de la dépression? Comment aller mieux ?
N’hésitez pas à m’informer si vous souhaitez plus d’éclaircissements vis-à-vis de certaines notions et des connaissances autour de la dépression/déprime.
La dépression, c’est quoi ?
Définition
La Haute Autorité de Santé (HAS) est l’autorité publique proposant des recommandations pour les professionnels du sanitaire, social et médico-social. Pour définir la dépression et les troubles associés, la HAS reconnaît deux classifications de référence :
- La CIM-10 (Classification Internationale des Maladies), établie par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en 2008.
- Le DSM-V (Manuel Diagnostique et Statistique des troubles mentaux et psychiatriques), réalisé par l’Association Américaine de Psychiatrie en 2015.
On retrouve donc parmi les signes d’un épisode dépressif quotidiennement et durant une période d’un minimum de 2 semaines :
- Au moins 2 symptômes principaux :
- Humeur dépressive.
- Perte d’intérêt, abattement.
- Perte d’énergie et augmentation de la fatigabilité.
- Et au moins 2 symptômes :
- Réduction de la concentration et de l’attention.
- Diminution de l’estime de soi et de la confiance en soi.
- Sentiment de culpabilité et d’inutilité.
- Perspectives négatives et pessimistes pour le futur.
- Idées noires et comportement suicidaires.
- Troubles du sommeil.
- Modification de l’appétit (perte ou gain de poids de 5%).
Auxquels peuvent s’ajouter des manifestations somatiques (plainte fonctionnelle et algies) et des troubles de la sexualité.
De fait, ces symptômes causent un état de détresse sérieux pour la personne concernée et altère son fonctionnement.
Entre déprime et dépression
Ces symptômes peuvent constituer une réponse à une perte (état de deuil, diagnostic de maladie grave, faillite financière, etc.). Cette réponse est alors considérée comme une réaction d’adaptation à une situation douloureuse et non comme un état pathologique dépressif.
Cependant, elle peut se prolonger et la personne peut peiner à trouver les ressources suffisantes pour dépasser cet événement. Cet alors qu’on parle d’épisode dépressif.
Communément, nous avons tendance à parler familièrement de « déprime » lorsque nous ou l’un de nos proches expérimentent ces symptômes. La différence entre ces éprouvés de déprime et la dépression, se situe au niveau de l’intensité et la chronicité des symptômes.
Statistiques en France et dans le monde
Considérée comme la première cause d’incapacité dans le monde par l’OMS, on estime qu’environ une personne sur cinq en France a souffert ou souffrira d’une dépression au cours de sa vie. Cela quel que soit l’âge de la personne, avec une prévalence plus importante chez les femmes que chez les hommes.
Ces statistiques ont évolué depuis le début du XXI ème siècle. Notamment dans le contexte de la crise sanitaire du COVID-19 survenue en 2019 et ses conséquences sur la population générale (confinements successifs, isolement, anxiété, difficultés financières, isolement, deuil, etc.). Une étude de l’OMS publiée le 02 mars 2022 a mis en évidence un bond de plus de 25% des cas d’anxiété et de dépression à travers le monde, également aggravé par le difficile accès aux services de santé mentale.
En 2020, les cas de troubles dépressifs majeurs ont donc connu une augmentation de 27.6%. On note une prévalence significative chez les femmes et les 20-24 ans.
Les observations effectuées par Santé publique mettent en évidence l’accroissement des gestes et idées suicidaires, des troubles de l’humeur et alimentaires. Ainsi que des difficultés éprouvées pour en parler à son entourage et se sentir compris.
Socialisation et dépression
L’impact de l’entourage est évidemment une donnée essentielle à prendre en considération, car souvent partie prenante du rétablissement d’un mieux-être.
Il arrive couramment que la famille et les amis puissent se décourager. Ils renoncent à s’inscrire dans une relation d’aide lorsque les résultats ne suivent pas immédiatement leurs efforts.
On pense à ces amis qui cherchent à inviter leur proche dont ils remarquent l’humeur dépressive. Cela pour « se changer les idées », « penser (ou passer) à autre chose ». Et devant ses refus répétés et son besoin d’isolement, ils finissent par abandonner. Ils n’insistent plus et se mobilisent en s’éloignant progressivement. En réalité, voir un proche en souffrance est difficile, reconnaître son impuissance et son échec à l’aider l’est tout autant.
L’aspect culturel est également mis en jeu à travers l’épisode dépressif. Les symptômes et le vécu dépressif étant sensiblement différents en fonction du contexte culturel ou communautaire.
Ces spécificités pourront faire l’objet d’une prochaine rubrique sur les apports de la clinique transculturelle.
Comment aller mieux quand on est dépressif ?
On distingue 3 critères de sévérité de la dépression : légère, modérée et sévère. Cela en fonction du nombre de symptômes, de l’intensité des symptômes et du degré d’incapacité fonctionnelle. Concernant ce dernier point, il s’agit de l’impact que cela aura dans les activités quotidiennes de la personne. La personne souffrant de dépression légère pourra continuer à travailler. Elle interagira avec son entourage en produisant un effort certain. On parle de dépression modérée lorsque ces activités deviennent difficilement réalisables. La dépression sévère, quant à elle, impacte durablement et fatalement la vie quotidienne, entraînant une incapacité manifeste.
Lorsqu’on parle de dépression, deux procédés nous viennent spontanément à l’esprit aujourd’hui : la prescription de médicaments antidépresseurs et la psychothérapie.
Les traitements médicamenteux
Selon l’intensité de l’épisode dépressif, la HAS recommande la mise en place d’un traitement en première intension pour les formes sévères :
En cas d’intensité légère ou modérée, la HAS recommande plutôt une psychothérapie de soutien par le médecin généraliste. Cela associée à un suivi médical et une évaluation du risque suicidaire.
Une orientation vers un psychiatre, psychologue clinicien ou psychothérapeute est un conseil mais pas une obligation. Cela dépendra des compétences du médecin généraliste ou du choix de la personne.
Cinq classes catégorisent les médicaments antidépresseurs prescrits. Ces médicaments sont prescrits en fonction de l’intensité des symptômes, des comorbidités somatiques et du risque d’interaction médicamenteuse. La HAS recommande donc la mise en place d’un suivi régulier pour évaluer les effets bénéfiques et/ou indésirables du traitement. Cela afin de pouvoir adapter la posologie où proposer une autre molécule en cas d’échec. La « durée totale souhaitable » du traitement s’évalue entre 6 et 12 mois après la rémission, dans le but de prévenir les rechutes.
On préconise également un arrêt progressif du médicament. L’arrêt se fait préférentiellement lors d’une période de stabilité sociale et affective. Il faut également porter une attention particulière à un éventuel syndrome de sevrage.
La psychothérapie de la déprime ou de la dépression
Les recommandations préconisent d’associer la psychothérapie au traitement antidépresseur dans une perspective de complémentarité.
Cette psychothérapie peut prendre différentes formes. Elle s’adapte également à l’intensité de l’épisode, aux symptômes. Elle s’ajuste aussi au mode de fonctionnement individuel (thérapie cognitivo-comportementale, psychodynamique ou psychanalytique, systémique, interpersonnelle, etc.). Toutes ces approches et méthodes restent fondées sur l’écoute et la prise en compte de la personne. Le thérapeute reste soumis au secret professionnel.
Plus ou moins inscrites dans le temps, la psychothérapie s’adapte à la personne. À noter que dans les dépressions légères et modérées, la psychothérapie seule semble être aussi efficace que l’association entre psychothérapie et traitement antidépresseur.
Parmi les plus répandues, la thérapie cognitivo-comportementale se centre davantage sur la gestion des symptômes et la prévention de la rechute, en agissant directement sur les pensées et comportements déclenchants ou perpétuant les épisodes dépressifs à travers une forme d’apprentissage et de relation active.
La psychothérapie d’inspiration analytique visera davantage à mieux appréhender les causes et les sources, dans l’enfance afin d’apprendre à mieux se connaître et comprendre son fonctionnement psychique.
Si je détaillerai davantage les psychothérapies dans d’autres articles, il s’agit également de ne pas négliger un ensemble de mesures liées à l’hygiène de vie : de l’exercice physique, le maintien d’une vie sociale et affective et une alimentation saine et équilibrée pour permettre de réguler ces ressentis.
Des bienfaits de la dépression ?
Petit conseil de lecture
Contrairement à ce que pourrait faire penser le titre « des bienfaits de la dépression », l’auteur ne cherche pas là à vanter la dépression et ses conséquences chez tout un chacun. Il vise plutôt à objectiver et repenser différemment la façon dont ce type d’épisode nous impacte profondément et s’intègre dans la vie psychique. Nous nous concentrerons alors davantage dans cette partie sur les symptômes de la dépression (et déprime), et non sur le tableau clinique général, c’est-à-dire ces petits signes que tout-un-chacun éprouve au cours de sa vie.
Fédida parle de « dépressivité ». Ce terme de « dépressivité » qualifie un état normal et transitoire, notamment à l’adolescence, durant lequel la personne présente quelques signes pouvant se situer sur un versant dépressif : état de tristesse, changements émotionnels, anxiété légère, troubles du sommeil, asthénie (état de fatigue), désinvestissement sur le plan scolaire, dévalorisation, inhibition psychique, ennui, passage à l’acte auto-agressif (type scarification par exemple).
Le fonctionnement quotidien n’est alors pas toujours altéré de manière significative et l’intensité diffère d’une personne à l’autre, selon la personnalité et l’âge.
Faire le point entre déprime et dépression
Nous sommes tous amenés, au cours de notre vie, à expérimenter plus ou moins ce type de manifestations.
Cela peut arriver à la suite d’un bouleversement social, affectif, financier, etc., voire sans raison particulière pour certains.
Il peut s’agir d’un état transitoire, où se prolonger pour d’autres.
On peut repérer un impact significatif dans la vie quotidienne chez certains, et inversement ne provoquer aucun retentissement.
On parle parfois de coup de mou, de coup de blues, de passage à vide, voire de déprime, dont le terme s’est ainsi banalisé en entrant dans le langage commun.
Qui n’a pas déjà ressenti ce type d’émotion après une rupture ?
Et qui n’a pas déjà éprouvé un manque de plaisir dans certaines activités à la suite de la perte d’un emploi ?
Qui n’a pas déjà expérimenté une baisse de moral avant de faire une cure de chocolat ?
Qui n’a pas déjà refusé de sortir avec ses amis en préférant passer un moment seul avec soi-même ?
Heureusement, il ne paraît pas judicieux de surmédicaliser tout type de manifestation dépressive, la plupart du temps réactionnelles où cycliques, de chercher directement à consulter son médecin et de débuter un traitement antidépresseur.
Ces émotions négatives sont effectivement tout-à-fait normales, du moment qu’elles ne s’inscrivent pas dans le temps et ne perturbent pas significativement notre vie. Ressentir de la dans certains contextes spécifiques est justement normal et ces émotions font partie de ce qui nous constitue en tant qu’être humain. La tristesse fait partie de la vie émotionnelle de tout individu, chacun étant amené au cours de sa vie à l’éprouver de façon transitoire. Il paraît alors normal et nécessaire d’accepter ce que l’on ressent, d’éprouver un besoin de changement de rythme pour prendre soin de soi en s’isolant où en s’entourant de personnes bienveillantes.
D’autres questionnements ?
Cette tendance à la dépressivité apparaît en partie essentielle dans notre développement en régulant notre fonctionnement psychique.
Que se passerait-il si chaque manifestation dépressive entraînait automatiquement la mise en place d’un traitement antidépresseur pour y répondre ?
Le médicament servirait-t-il réellement à agir sur les symptômes de la dépression où ne provoquerait-il pas seulement l’effacement de la souffrance ?
Ne parait-il pas raisonnable et naturel d’éprouver une souffrance psychique en réaction à une rupture, à un deuil où face à toutes les injonctions de performance propre à nos sociétés modernes ?
Ces éprouvés ne serviraient-ils pas de signal d’alerte, nous permettant ainsi de nous voir et percevoir ce qui nous entoure différemment ?
Au final, déprime ou dépression, quelle est la vraie question ?
N’a-t-on pas besoin de passer par ces moments difficiles pour mieux nous connaître et faire face aux prochains chocs existentiels que nous ne manquerons pas de traverser ? En ce sens, les vécus dépressifs seraient en lien avec la qualité résiliente d’une personne, c’est-à-dire sa capacité à surmonter les événements désagréables ou traumatiques, en vue de retrouver son équilibre et un fonctionnement normal. Peut-être que les expériences positives et négatives que nous vivons nous permettent finalement de nous accomplir.
Ce négatif a fonction d’adaptation à travers un bouleversement de nous-mêmes et de l’environnement avec lequel nous interagissons perpétuellement. De fait et de manière inconsciente, l’organisme réagit pour adapter nos pensées et nos comportements aux obstacles auxquels nous nous confrontons. Nous sommes parfois alors amenés à nous repenser, interroger nos décisions et chercher un sens à notre existence.
Ces épisodes servent alors à déclencher un changement, une évolution, ainsi qu’à réévaluer et mieux appréhender ce qui nous entoure. Ils nous permettent également de davantage apprécier les petits moments simples de la vie, qui paraissaient pourtant si anodins et insignifiants avant d’expérimenter ce qu’on a traversé.
En espérant que ce petit texte permettra d’attiser votre curiosité et de susciter certains questionnements, nous terminerons sur une citation de Boris Cyrulnik, pour qui « le malheur n’est pas une destinée, rien n’est irrémédiablement inscrit, on peut toujours s’en sortir ». « On peut découvrir en soi et autour de soi les moyens qui permettent de revenir à la vie et d’aller de l’avant tout en gardant la mémoire de sa blessure ».
Pour aller plus loin (sources) :
http://www.psychomedia.qc.ca/dsm-5/2017-11-25/depression-majeure-severite
Fédida, P. (2003). Des bienfaits de la dépression : Éloge de la psychothérapie. Odile Jacob.
Cyrulnik, B., & Seron, C. (2003). La résilience ou Comment renaître de sa souffrance ? Fabert.
Cyrulnik, B. (1999). Un merveilleux malheur. Odile Jacob.